Associer philosophie et
art, c'est la démarche novatrice choisie par l'associationPhilosophart et c'est aussi l'objectif du tout nouveau chantier de
l'association Philolab, chantier qui est né à l'occasion des
douzièmes rencontres autour des Nouvelles Pratiques Philosophiques à
l'UNESCO, dans le cadre de la journée mondiale de la philosophie,
le 15 novembre dernier, à Paris.
Conjuguer Nouvelles
Pratiques Philosophiques et Pratiques Artistiques, faire émerger des
pensées, donner vie à des concepts et les matérialiser au moyen
d'arts plastiques, de danse, d'activités théâtrales, laisser leur
empreinte, leur trace sensible sur du papier, de la matière ou dans
une chorégraphie, un jeu scénique, voilà une belle ambition pleine
de promesses...
De tous temps, la
philosophie et l'art ont entretenu des liens étroits et des
correspondances assidues. Mais ici, c'est le mot « Pratique »
qui m'intéresse en tout premier lieu, car il est important que ce
soit dans le domaine philosophique, ou dans le domaine artistique, de
pratiquer, et non, comme c'est le cas, la plupart du temps, de
consommer.
En effet, nous sommes
obligés de constater que nous vivons dans une société où nous
nous retrouvons sans cesse en position de consommateurs :
consommateurs de biens matériels, comme on le souligne très
souvent, mais aussi, pour une large part, de biens culturels... On a
tendance à négliger cet aspect assez fréquemment, mais on est
inondé en permanence de biens culturels, d'offres de toutes sortes,
d'incitation permanentes à profiter d'offres culturelles, mais
toujours, et presque exclusivement en tant que consommateurs.
Dans une école où le
savoir encyclopédique a pris la plus grande place, dans un monde où
les écrans, que ce soit la télévision, les consoles ou les
ordinateurs occupent la presque totalité des loisirs des jeunes et
des adultes, les enfants n'ont quasiment plus jamais l'occasion de
produire quoi que ce soit. Heure après heure, jour après jour, ils
reçoivent quantité d'informations, d'idées, de notions qu'ils
accumulent et engrangent tant bien que mal, souvent dans la plus
extrême confusion, sans pouvoir s'approprier ou hiérarchiser ces
informations. Cette consommation généralisée, cette position de
spectateur permanent conduit à un état de passivité tout à fait
certain.
Et malheureusement, nous
sommes obligés de reconnaître que l'école, dans la grande majorité
des cas, exige cette passivité et cette soumission. Comment
d'ailleurs pourrait-il en être autrement dans les conditions
actuelles qui ne cessent de se dégrader ? Même avec la
meilleure volonté du monde, même avec la meilleure formation
pédagogique possible, une enseignant seul face à des groupes
d'enfants toujours plus nombreux, dans le contexte actuel de
l'angoisse des parents face à l'avenir de leurs enfants, dans un
monde où le chômage de masse croît de manière exponentielle et
dans lequel on ne parle plus que de crise économique et d'avenir
incertain, dans une société minée par le délitement de ses
structures de base, exposé de surcroît aux lourdes contraintes des
programmes et soumis à des pressions hiérarchiques diverses, cet
enseignant ne peut que reproduire, souvent contre son gré, le
modèle de distributeur du savoir à une assemblée soumise et
passive.
Or, l'être humain n'est
pas fait pour la passivité, j'en suis complètement convaincu.
L'être humain soumis à la passivité finit par perdre l'estime de
lui-même, se robotiser, se déshumaniser et se désocialiser. On
déplore sans cesse la perte de lien social qui gangrène nos
sociétés occidentales, la montée de l'individualisme et de la
violence... Sans aucun doute, le modèle économique en porte une
large part de responsabilité, mais le modèle éducatif aussi dans
le sens où il encourage à la fois la passivité et la compétition :
cela peut paraître paradoxal, mais pas tant que cela à y regarder
de plus près, car la soumission au modèle est sans cesse contrôlée,
régulée par l'évaluation, cette évaluation omniprésente qui
favorise la compétition et qui, non seulement, hiérarchise,
élimine, décourage les individus mais aussi stérilise les savoirs,
vide les notions de leur substance, et dessèche la pensée...
Inviter les enfants à
produire à la fois de la pensée et une expression artistique,
associer les ateliers de discussion philosophique et les ateliers de
pratique artistique permet de redonner aux enfants leur dimension de
créateurs. Il faut de nouveau être créateur de sa pensée,
créateur dans sa dimension artistique, laisser sa trace, son
empreinte sur de la matière, retrouver le chemin de la production et
protéger surtout cette production de toute évaluation. Voilà ce
qui semble être la démarche de Philosophart, novatrice, pionnière
et nécessaire pour que l'enfant retrouve l’estime de lui-même et
se trouve en mesure d'accomplir toute son humanité. C'est tout
l'espoir de Philoart.
(Introduction pour le manuel pédagogique de Philosophart par Jean-Pierre BIANCHI, co-fondateur de PHILOLAB, responsable du chantier PHILOART)