mardi 11 décembre 2012

Philosophart et Philoart


    Associer philosophie et art, c'est la démarche novatrice choisie par l'associationPhilosophart et c'est aussi l'objectif du tout nouveau chantier de l'association Philolab, chantier qui est né à l'occasion des douzièmes rencontres autour des Nouvelles Pratiques Philosophiques à l'UNESCO, dans le cadre de la journée mondiale de la philosophie, le 15 novembre dernier, à Paris.

   Conjuguer Nouvelles Pratiques Philosophiques et Pratiques Artistiques, faire émerger des pensées, donner vie à des concepts et les matérialiser au moyen d'arts plastiques, de danse, d'activités théâtrales, laisser leur empreinte, leur trace sensible sur du papier, de la matière ou dans une chorégraphie, un jeu scénique, voilà une belle ambition pleine de promesses...

   De tous temps, la philosophie et l'art ont entretenu des liens étroits et des correspondances assidues. Mais ici, c'est le mot « Pratique » qui m'intéresse en tout premier lieu, car il est important que ce soit dans le domaine philosophique, ou dans le domaine artistique, de pratiquer, et non, comme c'est le cas, la plupart du temps, de consommer.

   En effet, nous sommes obligés de constater que nous vivons dans une société où nous nous retrouvons sans cesse en position de consommateurs : consommateurs de biens matériels, comme on le souligne très souvent, mais aussi, pour une large part, de biens culturels... On a tendance à négliger cet aspect assez fréquemment, mais on est inondé en permanence de biens culturels, d'offres de toutes sortes, d'incitation permanentes à profiter d'offres culturelles, mais toujours, et presque exclusivement en tant que consommateurs.

    Dans une école où le savoir encyclopédique a pris la plus grande place, dans un monde où les écrans, que ce soit la télévision, les consoles ou les ordinateurs occupent la presque totalité des loisirs des jeunes et des adultes, les enfants n'ont quasiment plus jamais l'occasion de produire quoi que ce soit. Heure après heure, jour après jour, ils reçoivent quantité d'informations, d'idées, de notions qu'ils accumulent et engrangent tant bien que mal, souvent dans la plus extrême confusion, sans pouvoir s'approprier ou hiérarchiser ces informations. Cette consommation généralisée, cette position de spectateur permanent conduit à un état de passivité tout à fait certain.

    Et malheureusement, nous sommes obligés de reconnaître que l'école, dans la grande majorité des cas, exige cette passivité et cette soumission. Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement dans les conditions actuelles qui ne cessent de se dégrader ? Même avec la meilleure volonté du monde, même avec la meilleure formation pédagogique possible, une enseignant seul face à des groupes d'enfants toujours plus nombreux, dans le contexte actuel de l'angoisse des parents face à l'avenir de leurs enfants, dans un monde où le chômage de masse croît de manière exponentielle et dans lequel on ne parle plus que de crise économique et d'avenir incertain, dans une société minée par le délitement de ses structures de base, exposé de surcroît aux lourdes contraintes des programmes et soumis à des pressions hiérarchiques diverses, cet enseignant ne peut que reproduire, souvent contre son gré, le modèle de distributeur du savoir à une assemblée soumise et passive.

    Or, l'être humain n'est pas fait pour la passivité, j'en suis complètement convaincu. L'être humain soumis à la passivité finit par perdre l'estime de lui-même, se robotiser, se déshumaniser et se désocialiser. On déplore sans cesse la perte de lien social qui gangrène nos sociétés occidentales, la montée de l'individualisme et de la violence... Sans aucun doute, le modèle économique en porte une large part de responsabilité, mais le modèle éducatif aussi dans le sens où il encourage à la fois la passivité et la compétition : cela peut paraître paradoxal, mais pas tant que cela à y regarder de plus près, car la soumission au modèle est sans cesse contrôlée, régulée par l'évaluation, cette évaluation omniprésente qui favorise la compétition et qui, non seulement, hiérarchise, élimine, décourage les individus mais aussi stérilise les savoirs, vide les notions de leur substance, et dessèche la pensée...

    Inviter les enfants à produire à la fois de la pensée et une expression artistique, associer les ateliers de discussion philosophique et les ateliers de pratique artistique permet de redonner aux enfants leur dimension de créateurs. Il faut de nouveau être créateur de sa pensée, créateur dans sa dimension artistique, laisser sa trace, son empreinte sur de la matière, retrouver le chemin de la production et protéger surtout cette production de toute évaluation. Voilà ce qui semble être la démarche de Philosophart, novatrice, pionnière et nécessaire pour que l'enfant retrouve l’estime de lui-même et se trouve en mesure d'accomplir toute son humanité. C'est tout l'espoir de Philoart.

(Introduction pour le manuel pédagogique de Philosophart par Jean-Pierre BIANCHI, co-fondateur de PHILOLAB, responsable du chantier PHILOART)