Suite à une projection-débat autour du film "
Ce n'est qu'un début" que j'avais animé en novembre dernier à la
médiathèque de Jouars-Pontchartrain, dans les Yvelines, on a décidé avec la responsable de la médiathèque de créer un atelier philo inter-générations, l'objectif étant de faire discuter ensemble enfants et adultes, des générations aussi dissemblables que enfants, parents, grand-parents, arrière grand-parents... Nous ne savions pas du tout si le concept allait fonctionner, si l'on allait pouvoir réunir des participants d'âges aussi variés... Nous avons décidé de tenter un premier essai en février et de voir si l'on pourrait continuer sur cette base.
Le premier atelier, le 22 février 2013, a réuni une vingtaine de participants de tous les âges... Le plus jeune avait six ans et la plus âgée avait dépassé les soixante... Il y avait à peu près huit enfants et douze adultes. La discussion s'est révélée extrêmement riche et l'excellente participation des enfants a été saluée par l'ensemble du groupe. Il s'est réellement instauré une communauté de recherche intergénérationnelle. Cette expérience a été un vrai succès et elle a tellement emporté l'adhésion des participants qu'on a décidé de renouveler l'atelier philo inter-générations une fois par mois.
Pour ce premier atelier, le thème choisi comptait parmi les plus universels : le bonheur... En voici la transcription :
(Auguste Renoir, Bal du moulin de la Galette, 1876)
Le bonheur, c'est un
sentiment de bien être que l'on éprouve au plus profond de soi-même
et que l'on a envie de partager avec les autres...
C'est la sensation
intense d'appartenir à un tout, d'être relié et de faire partie
intégrante d'une communauté, tout en étant capable de partager
avec les autres...
C'est le sentiment de
plénitude que l'on éprouve lorsqu'on parvient à être en accord
avec le monde, avec son entourage et avec soi-même...
C'est ce qu'on ressent
quand on parvient à réellement partager, à aimer et à être aimé
et qu'on éprouve une authentique réciprocité de l'amour...Le
bonheur, c'est aussi pouvoir recevoir quelque chose de quelqu'un et
donner gratuitement, sans espoir de retour, sans attendre un
quelconque bénéfice ou autre récompense...
(Henri Matisse, Luxe, calme et volupté, 1905)
Le bonheur réside aussi
dans l'observation, la contemplation de la nature et la sensation de
faire corps avec elle, de faire partie du grand Tout. Il peut
résulter, de la sorte, d'une émotion esthétique, lorsqu'on est
dans un paysage que l'on trouve particulièrement beau, dans une
lumière exceptionnelle, avec des odeurs agréables, des chants
d'oiseaux mélodieux, bref une ambiance composée par une multitudes
d'éléments naturels qui semblent concourir à une sorte de
perfection...
(Nicolas Poussin, Le printemps ou le paradis terrestre, 1660)
Le bonheur peut-être
aussi physique, une sensation d'harmonie indicible entre son mental
et son corps, ses muscles, ses sens, sa façon de se tenir, de
bouger, d'être au monde...
(Henri Matisse, La danse, 1909)
Il peut aussi consister à
savoir se contenter de choses simples qui sont aussi capables de vous
emplir de joie, peut-être même beaucoup plus que des artifices
sophistiqués ou des activités coûteuses...
On éprouve du bonheur
lorsqu'on peut se consacrer à des activités que l'on aime
pratiquer...
Le bonheur n'a pas un caractère forcément automatique, il se construit et il peut même résulter d'un véritable travail sur soi : dans ces conditions, le bonheur n'est plus forcément dépendant des circonstances et des évènements extérieurs et il peut ne jamais finir, sauf, évidemment s'il survient dans notre existence un accident de vie qui nous affecte ou nous blesse particulièrement...
Notre bonheur n'est jamais vraiment complet et, dans le même temps, il se construit en se fixant des objectifs accessibles. Ceux qui visent trop haut et sont trop ambitieux ne seront jamais heureux car ils conserveront toujours en eux-même une large part d'insatisfaction...
Dans une vie, dans une existence humaine, on traverse toujours des moments de bonheur, même lorsque les circonstances extérieures sont pénibles... C'est ce bonheur même à peine entrevu, même très fugitif qui nous permet de continuer notre chemin, qui nous permet d’espérer et d'affronter les moments de désespoir ou de découragement qui pourraient se présenter ensuite...
(Auguste Renoir, Le déjeuner des canotiers, 1881)
Il existe un poison qui menace le bonheur de l'être humain : c'est la jalousie... Les manques, les frustrations et les comparaisons stériles nous empêchent d'avancer et d'atteindre le bonheur... Le bonheur, c'est nous et nous seuls qui sommes capables de le créer par les relations que nous entretenons avec les autres. Alors, dans cette hypothèse, le bonheur pour un être humain serait-il forcément lié à une notion de partage ? Serait-il impossible à atteindre sur une île déserte ?
(Claude Picard, Le paradis terrestre, 1986)
Notre conception du
bonheur n'est pas la même tout au long de notre existence ;
elle est en perpétuelle évolution, en perpétuelle mutation, et
elle dépend aussi des personnes de notre entourage, des personnes
avec lesquelles on vit. C'est très mouvant, très instable, très
insaisissable, et ce qui paraissait hier digne de nous faire parvenir
au bonheur nous semble souvent aujourd'hui sans grand intérêt. Les
fausses pistes sont nombreuses dans ce domaine...
Peut-on établir une
distinction entre plaisir et bonheur ? Le plaisir est une
sensation ponctuelle et le bonheur un état prolongé ; le
plaisir s'envisage dans l'instant et le bonheur implique une plus
grande constance. Souvent, les plus jeunes pensent que le plaisir et
le bonheur peuvent se confondre mais, au fur et à mesure que l'on
avance sur le chemin de la vie, on s'aperçoit que le bonheur
demande un effort de recherche assidu et un supplément de sensation
de plénitude par rapport au plaisir. En même temps, le bonheur est
une notion plus abstraite que le plaisir, il est plus difficile à
définir. C'est sans doute un objectif à plus long terme que l'on
essaie d'atteindre. C'est un idéal vers lequel on s'efforce de
tendre. Si certains ont le sentiment de pouvoir y parvenir, d'autres
constatent, dépités, qu'il s'éloigne au fur et à mesure que l'on
s'en rapproche comme ce pic enneigé, lors d'une randonnée en
montagne, qui paraissait si accessible au début...
(Auguste Renoir, Les baigneuses, 1918)
Il faut souligner
néanmoins que celui qui connaît le bonheur est plus réceptif aux
plaisirs. A l'inverse, l'état dépressif se caractérise par une
impossibilité à éprouver du plaisir... Lorsqu'on fait plaisir aux
autres, on se fait en même temps plaisir à soi-même et l'on
augmente ainsi son bonheur, plus sûrement sans doute que lorsqu'on
est en quête de plaisirs égoïstes qui n'apportent qu'un illusoire
mieux-être...
Le bonheur passe-t-il
par la possession comme voudrait nous le faire croire trop souvent la
société de consommation dans laquelle on vit dans les pays
industrialisés ? Le rôle de la publicité et du marketing est
de nous faire intégrer l'idée que l'on augmentera son bonheur en
possédant le dernier objet sorti, la dernière nouveauté, le
dernier gadget à la mode, mais c'est un leurre car à peine acquis,
il sera déjà démodé et appellera son remplaçant plus nouveau,
plus branché, plus neuf... La frustration du consommateur est
programmée par les agences spécialisées dans le marketing. C'est
un domaine où les promesses de bonheur entraînent des déceptions
inévitables... La promesse du toujours plus est un miroir aux
alouettes...
(Henri Matisse, La joie de vivre, 1905)
Au fond, le bonheur,
c'est peut-être parfois savoir se dire non à soi-même, être
capable de garder le contrôle, le cap, en dépit des multiples
tentations qui surgissent dans notre quotidien...
Le bonheur, c'est aussi
être capable d'apaiser la souffrance que nous procure au plus
profond de nous-mêmes la fuite du temps. L'originalité de cette
époque est qu'elle nous permet de conserver des instantanés visuels
ou sonores (photographie, vidéo, enregistrements analogiques ou
numériques) de moments à jamais disparus et qui, autrefois,
n'existaient qu'au travers du filtre adoucissant du souvenir et de la
mémoire, avec toutes ses imperfections. La précision de ces
témoignages d'un passé qui ne reviendra pas est paradoxalement à
double tranchant.
Le bonheur, comme on
l'avait précisé au début de la discussion, nécessite que l'on
parvienne à se trouver en accord avec soi-même ce qui est parfois
incompatible avec l'éducation dont le but est quelque part de nous
formater, d'homogénéiser les individus, de les faire entrer dans un
moule. Or tout le monde est différent et il faut parfois de grandes
capacités de désobéissance pour parvenir à être authentiquement
soi-même (réfléchir, c'est déjà désobéir). Être soi-même
implique d'être capable de prendre conscience des différentes
influences (famille, école, médias, entreprises) et de s'en dégager
au maximum.
Peut-on éprouver du
bonheur en accomplissant de « mauvaises actions » ?
Les voleurs ou les assassins, ceux qui nuisent délibérément à
autrui, pour satisfaire leur propre intérêt, cherchent-ils encore
le bonheur ou y ont-ils renoncé parce qu'il n'ont jamais su le
trouver, ce bonheur, à la fois si attirant et si insaisissable, si
proche et si éloigné, si durable et si fugitif ?
(Marc Hanniet, L'infiniment belle saison, 2012)